La Religion et la Politique

Avec le procès de l'assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin, il faudra dresser le réquisitoire qui conduira à la séparation de la Religion et de l'État.

Dans quel monde vivons-nous? On fustige la société occidentale avec son lot de violences, de scandales politico-financiers, d'attentats. Avec, en prime, l'exclusion sous forme de Sida, de chômage et de sans-abris. Là, en Orient, ils commençaient à nous donner l'exemple, ils nous apprenaient comment des ennemis pouvaient devenir amis, comment on construisait la paix, brique par brique. Au début, on était sceptiques, on n'y croyait pas, puis on a pensé que peut-être... mais on n'osait pas encore y croire, et puis, l'un après l'autre, les hommes de bonne volonté ont formé la grande chaîne de la solidarité. Ce fut la protestation ferme et silencieuse, pacifique et décidée de Shalom Archav, bientôt rejoint par des démocrates, des hommes politiques, des partis de gauche qui, enfin, pouvaient faire des choix en adéquation avec leur système de valeurs. Et puis, ce fut la longue marche vers la paix menée par Rabin de manière vigoureuse et sans relâche. En tuant Yitzhak Rabin, c'est, au-delà de la personne, un symbole que l'on a visé. Le symbole de la paix mais aussi celui de celui qui s'était renié. De faucon, il était devenu colombe. De héros de la guerre des Six Jours, le voici traître à la patrie. Ainsi pensaient les extrémistes religieux et ultra-nationalistes. Ils confondaient la trahison et le douloureux travail de remise en question fait par Rabin et par tant d'autres démocrates. Cette trahison justifiait la malédiction qu'ils lui avaient lancée. Car on savait que Rabin était physiquement menacé par les intégristes. Ceux-ci brandissaient l'argument des nombreux attentats survenus depuis les Accords d'Oslo pour justifier leur opposition farouche au processus de paix.

Résister à l'intolérance

Ils ont mis à exécution leur projet d’assassinat. Ils sont coupables de meurtre avec préméditation. Et que l'on ne se contente pas de châtier le jeune étudiant animé d'une foi aveugle : au banc des accusés, devront s'asseoir les fanatiques religieux dont l'intégrisme a poussé un Juif à tuer un autre Juif. Si la religion peut conduire à une telle dérive, il faut lui mettre des garde-fous, il faut lui refuser le statut privilégié que lui accorde la constitution de l'État d'Israël. À partir du moment où il est clair que la religion s'oppose au consensus national et perturbe l'ordre public, il faut lui ôter ses privilèges, d'autant plus qu'il n'y a que 9 % de la société israélienne qui soit religieuse stricto sensu. Que l'occasion soit ainsi saisie de séparer la religion de l'État. Que la religion soit reconnue comme culte privilégié, mais qu'elle n'ait plus le pouvoir de déterminer la politique intérieure de l'État d'Israël. Qu'à l'État religieux succède un véritable État laïc. Juif mais laïc. Comme la Belgique, où la religion officielle est le catholicisme, mais où les affaires de l'Église et de l'État sont séparées.1

Résister à l'intolérable, c'est ce qui a fait l'humanité, déclarait Jacques Attali au 7e Forum Le Monde consacré à l'intolérance, en octobre dernier. Dans le regard douloureux de Shimon Peres, on avait le sentiment que s'y forgeait la décision d'exercer ce devoir d'intolérance vis-à-vis de l'intolérance.

À chacun sa responsabilité.

Si la foi religieuse était compatible avec l'attitude qui consiste à revendiquer le meurtre comme moyen de régler des divergences de vues, nous risquerions la désintégration de notre peuple. Nos enfants se reconnaîtraient-ils dans une alliance désormais tâchée de sang ? Il nous appartient de porter la responsabilité du devenir du peuple juif. En Israël, une identité détachée de l'emprise religieuse, une vraie citoyenneté en somme. En diaspora, au contraire, un judaïsme qui intègre davantage certaines valeurs de la tradition juive à titre d'éthique. Un judaïsme qui soit en adéquation avec notre mode de vie dans une société occidentale laïque et avec la nécessité que nous éprouvons de respecter les traditions juives. Un judaïsme à réinventer. Une nouvelle forme de spiritualité génératrice d'humanité vraie. Avec des valeurs qui sont celles de toute société de solidarité basée sur la communication. Et celle-ci, en Israël, devrait englober le dialogue avec les colons. Encadrés de psychologues et de spécialistes en communication, les politiciens devraient tout mettre en œuvre pour convaincre plutôt que contraindre. Et aux responsables non juifs, il appartient de continuer à œuvrer pour que la paix s’installe dans la région et pour que le prochain à venir s’asseoir à la table des négociations soit le président syrien, Assad, qui, depuis juin, fait le mort... et des morts.

Sara Brajbart-Zajtman

  1. Depuis la chute de l'Ancien Régime, la France est le seul pays à être totalement républicain et indépendant de toute religion. 

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