“Tu ne violeras pas!"
Au Poche, un metteur en scène libanais monte la pièce d'un auteur israélien. Encore un effet indirect du processus de paix ?
L'homme ne pourra jamais s'approprier complètement la femme. La pièce s'inspire d'un événement que les journaux désignent banalement par le vocable fait divers. Mais le fait divers est souvent un fait pervers et l'expression d'un drame humain. Le drame des petites filles en mal d'amour. Petites filles délaissées, frustrées. Petites filles à la recherche de l'autre, petites filles qui se font remarquer et donc marquer.
Marquer du sceau de l'homme, de son désir comme reconnaissance de son identité féminine, d'être-au-monde.
L'histoire? Au départ, la véritable histoire d'une tranche de vie d'adolescents dans un kibboutz. Ils sont six amis et violent une fille de 15 ans à peine. Arrêtés et accusés de viol, un premier jugement les relaxera sous prétexte que la déclaration de la victime manquait de crédibilité. Le verdict soulève un tollé de protestations dans la patrie biblique. Le procureur général fait appel à la Cour Suprême. Edna Mazya décide alors d'écrire sa pièce.
On doit la mise en scène au libanais Wajdi Mouawad.
Elle est fine, audacieuse, juste. Elle séduit les jeunes, très nombreux à ce spectacle “presque tous publics”.
Les 10 commandements
Tu ne violeras pas, titre de la pièce, n'est pas inscrit sur les tables de la loi. Dieu n'a pas cru utile de répertorier parmi les 10 commandements, cette injonction légitime.
Pourquoi ? Parce que cela allait de soi ? Ou au contraire parce que c'était impossible à respecter ? Et si, justement, l'homme était, par nature, tenté de voler sa partenaire ? Dans les sociétés primitives, les sociétés non marquées par le tabou de l'inceste, les hommes ne prennent-ils pas les femmes de force ? Car l'homme veut prendre ce qui est caché, ce qui ne se donne pas à voir. Tel le sexe féminin.
La femme, elle, veut bien s'offrir mais pas se faire (ou se laisser) prendre de force.
Voler ce qui est caché
Lui, ne peut que la violenter, c'est sa manière d'affirmer son autorité, sa virilité, sa supériorité comme de lui voler ce qu'elle a de caché. Et même quand la femme croit qu'elle offre son intimité, l'homme la suspectera toujours de lui cacher quelque chose. Car son sexe à elle est enfoui, enterré, terré. L'homme suspecte toujours qu'il y a quelque chose à quoi il n'a pas accès. Un secret.
Et de surcroît, quand elle jouit, c'est sans preuves... donc sans réalité.
Justice pédagogique et spiritualité affective
Comme dans l'événement réel dont la pièce raconte l'histoire, la condamnation des violeurs sera prononcée in fine. Déplorons que le jugement n'ouvre pas la voie à une forme moderne de sanction qui rompe radicalement avec la répression.
Il faudrait que la punition soit didactique pour éviter toute récidive. C'est de cette nouvelle morale que la société moderne doit accoucher.
D'une justice non répressive, d'une justice pédagogique.
D'une justice qui responsabilise en donnant à voir, à comprendre les causes et les conséquences des actes de chacun qui a affaire à elle. D'une justice qui apprenne aux criminels à se faire aimer et à aimer.
De la promotion des valeurs que sont la compréhension humaine, la communication, la solidarité avec autrui dépend l'avenir de notre société.
La vie en commun ne sera viable qu'au prix de cette spiritualité. Une spiritualité qui n'est ni éthérée ni ascétique comme celle des croyants qui ont oublié l'existence de leur corps, mais au contraire une spiritualité qui intègre le désir et son accomplissement comme facteur d'épanouissement de l'homme et de la femme.
Sara Brajbart - Zajt
Théâtre de Poche - Chemin du Gymnase / Bois de la Cambre à Ixelles