Wodzislaw — Un Sztetl — Une Histoire

Une absence juive si présente.
La question mémorielle interpelle les Polonais.

Petit village, bourgade, bourg, hameau, commune, mini-cité, ce sztetl (shtetl) ressemble à ceux qu'Yitshak Leib Peretz, chef de file de la littérature yiddish, décrit dans ses nouvelles1. Situé à 240km au sud de Varsovie et à 65 km au nord de Cracovie, Wodzislaw s'annonce juste après le cimetière juif, vieux de 5 siècles, aujourd'hui dégradé et singulièrement rétréci depuis la construction de la route nationale dans les années 70.
Clôturé par une grille rouillée surmontée d'une étoile de David à chaque angle, le cimetière est à l'abandon. Les mauvaises herbes ont envahi le terrain. Ça et là gisent des tombes anciennes, les textes gravés sont à moitié effacés, et plus loin, contre le mur, d'autres pierres tombales, empilées les unes sur les autres, avec des bas-reliefs d'inspiration religieuse. À Wodzislaw, comme dans toute la Pologne, on mourait en Dieu. Partout, des plaques de marbre noirci gisent, éparses, symboles d'une présence invisible, comme si elles attendaient leur tour.
Toute la Shoah est là. Ses morts sont intensément présents dans ce lieu surexposé, venteux, inhospitalier. Au centre, un monument érigé par la Fondation Nussenbaum à la mémoire des victimes de la barbarie nazie. L'épitaphe, en hébreu et polonais, dit: Monument à la mémoire des 3.700 citoyens de Wodzislaw assassinés par les nazis dans les années 39-45, dont 368 personnes ici au cimetière.

Après le cimetière, une petite route conduit au village de Wodzislaw, au sztetl. Bien sûr, on sait déjà qu'on n'y trouvera plus aucun Juif. Que vient-on y chercher ? Des souvenirs ? Des traces de leur vie d'avant ? Le parfum de leur si longue présence ? Nostalgie d'un monde aujourd'hui disparu. Les nôtres sont-ils passés par là ? Ou par ici ? Un charme indicible émane de ses rues désertes. À côté de nouvelles bâtisses ou d'autres, rénovées, ici et là, des maisons abandonnées ou en partie démolies rappellent la présence de leurs anciens occupants. Sur le Rynek, place du Marché rebaptisée Maréchal Joseph Pilsudski, on ne voit plus de trace de la centaine de commerces juifs si florissants avant-guerre. Détruites aussi la mikvé, les deux morgues, les écoles juives, également pour filles, la bibliothèque juive municipale de Wodzislaw. Éradiqué, le fameux heder dirigé pendant 20 ans, jusqu'à son départ en 1935 pour l'Amérique latine, par le rabbin Rappoport et ensuite par le rabbin Meyer, tous deux également chefs de la communauté. En ruines, la belle synagogue qui fit la renommée de la ville jusqu'à l'occupation nazie.

Wierdonek

Dès leur invasion, le 5 septembre 1939, les nazis interdisent l'accès à la synagogue et la transforment en silo à grains, après avoir vainement tenté de l'incendier. Ce ne fut pas le seul changement dans l'existence des Juifs de Wodzislaw, une communauté autrefois si prospère. Obligés de quitter leurs maisons et de se regrouper dans des conditions sordides avec des Juifs de shtetls voisins dans un quartier du village d'où les Polonais furent chassés, beaucoup y moururent de mauvais traitements, du typhus, de malnutrition... D'autres y furent exécutés et leurs corps jetés, sans sépulture, au cimetière. Les malheureux survivants furent rassemblés dans le camp de Wierdonek, dernière station avant Treblinka. Witold Madetko, 81 ans, ancien directeur d'école, évoque, non sans émotion, l'agonie du jeune Moniek. Et le Docteur Sliwa porte en lui le souvenir, toujours vivace, de « Czernowa kokarda », le foulard rouge de Chajusia, la petite fille qu'il aimait bien, supprimée d'une balle dans la tête, 70 ans plus tôt.

Les enfants polonais ont vu leurs camarades juifs assassinés devant leurs yeux. Ils ne s'en sont pas remis. Ce traumatisme a déterminé certaines de leurs démarches. Ainsi, le Docteur Sliwa s'est attaché à reconstituer la mémoire de Wodzislaw et en particulier sa mémoire juive. Une entreprise que mène également de son côté Michal Kazimierz Nowak, fils de Stanislawa Zelichowska, enfant-témoin de l'assassinat par les nazis du boulanger Chaje, près du pont qui mène à la bibliothèque municipale.
De nombreux Polonais de Wodzislaw dénoncèrent le traître Machowski, haï pour sa grande cruauté. Engagé dans la milice collaborationniste, la milice bleue, il fut jugé après la guerre, condamné à mort et pendu.
Un hommage fut rendu après la guerre au policier Szczukocki, resté intègre à la police nationale. Il communiquait aux Juifs les horaires des rafles pour leur donner le temps de fuir.
À Józef Gondrowicz, reconnu pour sa grande bonté par beaucoup de Juifs originaires de Wodzislaw, rescapés grâce à lui, de la terreur nazie, Yad Vashem décerna la Médaille des Justes.

Le temps de la réconciliation?

Curieusement, l'antisémitisme d'État en Russie, bien plus odieux qu'en Pologne, n'est pas resté dans les mémoires. Reconnus comme les machiavéliques auteurs des « Protocoles des sages de Sion », on ne dit pas des Russes qu'ils tètent l'antisémitisme au sein de leur mère comme il est courant de l'entendre dire des Polonais. Ni des Roumains, acteurs sanguinaires du cruel pogrom de Iasi, en 1941. Cet antipopulisme est-il encore justifié ? La Pologne est le pays qui détient le record des médailles des Justes décernées par Yad Vashem. Plus de 6.000, alors que l'Autriche n'en a pas 100. Le gouvernement polonais n'a pas collaboré comme le gouvernement français, il est parti en exil. Une des plus grandes consciences morales de l'époque, Jan Karski, est polonaise. Les Polonais aussi furent employés comme esclaves par les nazis et 15 % de la population polonaise ont été assassinés pendant ces années de terreur. Il n'a pas non plus été permis à la Pologne de faire son travail de mémoire puisque la tutelle soviétique, relayant avec violence celle de l'Allemagne dès la fin de la guerre, a jeté une chape de plomb sur le passé. Avec, en point d'orgue, Mars 68, nom du mouvement de révolte enclenché, à cette époque, par les étudiants contre la censure et le pouvoir communiste. La facture fut essentiellement payée par les 30.000 Juifs vivant alors en Pologne, dont plus de la moitié fut contrainte à l'exil, avec la nostalgie comme toile de fond de leur nouvelle existence diasporique. Sur la Shoah, le Parti Communiste fut muet jusqu'à ce que Solidarnosc permette à la dissidence de faire entendre sa voix. L'heure était à la confrontation des mémoires. Ce fut Jan Blonski, un intellectuel polonais renommé, qui jeta le premier gros pavé dans la mare en rappelant que les Juifs polonais avaient été liquidés à 90 % et que si la Shoah n'avait qu'un auteur, coupable sans appel, elle avait aussi des co-responsables, parmi lesquels des Polonais. Les livres de Jan Gross et des enquêtes dont celle, magistrale, d'Anna Bikont, établirent la culpabilité de certains habitants dans le pogrom de Jedwabné, en 1942. Ces révélations conduisirent le président Kwasniewski, coiffé d'une kippa, à demander pardon, en juillet 2001, à Jedwabné, lors d'une cérémonie d'hommage à ses victimes juives. Les évêques polonais aussi ont fait acte de contrition, conscients de l'antijudaïsme chrétien, source principale et originelle du tort et du mal fait aux Juifs tout au long de l'histoire jusqu'à Vatican II.
Des initiatives fleurissent. Le Centre Brama Grodska, sous la houlette de Pietrasiewicz, Adamczyk-Garbonska et Dambrowski, travaille à reconstituer le passé juif de Lublin parce que « l'essentiel est dans la mémoire de ceux qui ont disparu ».2 À Cracovie, où des chaises inamovibles rappellent leur souvenir, Agnieszka Sabor, critique d'art, organise des expositions qui rendent hommage aux Juifs de Cracovie d'avant-guerre. Citons aussi Janusz Makuch: il a réussi à donner au festival de culture juive qu'il a fondé voici 20 ans, une aura formidable. Tandis qu'à Varsovie, on inaugurera bientôt le Musée Juif de Pologne, grâce à la détermination de Corinne Evens, fille du diamantaire anversois, feu George Evens, écrivain et esthète, qui avait pour maxime ce vers d'Adam Mickiewicz, le grand poète polonais : Il faut ajuster ses forces à ses buts et non ses buts à ses forces.3
Ailleurs, comme à Wodzislaw où l'absence juive est si douloureusement présente, on exhume des souvenirs, on écrit sur la vie d'avant-guerre, on recherche les noms des habitants juifs. Ce travail de mémoire, il nous appartient de l'encourager et de le partager. Il y a des rendez-vous avec l'histoire que l'on ne peut pas manquer.

Du Sztetl au Kahal

Des Lanckoronski aux nazis

Les traces de Wodzislaw remontent à 1366. Quatre ans plus tard, les Lanckoronski en acquièrent la propriété ainsi que la tutelle sur les Juifs. Ceux-ci vont venir s'y installer en nombre à partir de 1507, époque où les Juifs de Cracovie seront expulsés pour cause de « surpopulation juive » due à l'arrivée des Juifs de Tchéquie, chassés par décret en 1495. Les Juifs ont la réputation d'être des commerçants avisés et, justement, suite à l'abrogation des lois polonaises et russes, le Comte Adam Lanckoronski vient d'obtenir pour Wodzislaw les Droits de Magdebourg qui lui accordent, notamment, le privilège d'organiser des foires commerciales trois fois par an. Et, surtout, il promet la protection à tous les exposants et participants, argument convaincant pour les Juifs, pratiquants de l'alliance verticale.4

En 1557, Jan Lanckoronski construit un château et élargit la ville. Ce nouvel urbanisme accorde l'ouest du quartier du Rynek aux Juifs. La ville devient le siège du district de l'autorité calviniste et organise plusieurs synodes calvinistes.

Les Juifs de Wodzislaw dépendent de la « Diète juive » ou Kahal de Cracovie. Leur nombre grossira suite au décret imposant aux villes royales de chasser les Juifs. Celui-ci ne concernant pas Wodzislaw, devenue ville aristocratique, les Juifs continueront d'y développer des métiers (boucher, boulanger, maréchal ferrant, tonnelier).

En 1618, interdiction est faite aux chrétiens, par l'évêque, de travailler avec ou chez des Juifs. Le calviniste Samuel Lanckoronski se convertit à la religion catholique et l'impose à la population.

En 1655, Wodzislaw est détruit par les armées suédoise et hongroise. Les Juifs sont accusés de collaborer avec l'ennemi suédois et beaucoup d'entre eux seront massacrés. Le propriétaire de la ville obtient pour les Juifs l'annulation de la taxe. En 1676, Wodzislaw devient la deuxième ville de la région en nombre d'habitants juifs, avec 50 % de Juifs. Trois ans plus tard, un grand incendie ravage la ville et Dimitri Wiecki, président de la Région, supprime également la taxe individuelle des Juifs.

En 1678, les délégués Judah Leib et Saul Katzenellebogen réclament à la Diète de Lublin la fin de l'hégémonie de Cracovie sur la communauté juive de la région. Un document daté de 1690 mentionne la séparation du subkahal de Wodzislaw du Kahal de Cracovie ainsi que le nom de David Ickowicz comme représentant de Wodzislaw, devenu Kahal après un combat acharné, connu dans le pays.

En 1740, le Comte Wawruzya Lanckoronski ordonne que tous les litiges concernant les Juifs soient réglés par le rabbin et se réserve de juger les cas d'appel. Zubika, un chirurgien juif de Wodzislaw, est très réputé.

Au 18e s., la région connaîtra de grands problèmes économiques dus aux pillages des armées allemandes et russes. L'appui des Lanckoronski aux Juifs (chez qui ils placent leur agent) permettra à la ville de renaître : grande activité dans la fourrure, activité bancaire, monopole du commerce des grains pour la région. Un Juif de Wodzislaw, adepte de l'Aufklärung, est nommé responsable d'un important bureau d'accises de douanes à Cracovie qu'il modernise complètement. À la fin du 18e siècle, les commerçants de Wodzislaw sont très appréciés lors des Foires de Leipzig, les liens avec les Saxons sont étroits. Beaucoup d'aristocrates polonais viennent à Wodzislaw et logent chez leurs amis juifs qu'ils invitent aussi à leurs fêtes. (On croit rêver.)

En 1907, la construction du chemin de fer à l'écart de la ville freinera considérablement son développement basé sur le transport par chevaux qui, jusque-là, traversait Wodzislaw.

En 1918, la bande de bandits Kalinka foncera sur Wodzislaw. (Cf. Article)

En 1931, l'école publique polonaise est obligatoire pour tous. Juifs et Polonais se fréquentent. Les commerçants juifs sont nombreux : tanneries de Mozko Blum et Moszko Kron, Moulin de Herzl Israelewicz, Usine d'huile de Baruch Wajnberg. Tauba Zilbersac dirige le bureau de la loterie nationale et reçoit le droit de payer par chèque. Horowitz est collecteur de fonds pour la Kehillah dont les sièges du CA se répartissent entre les membres de l'Aguda et les sionistes. Mais toutes les tendances sont présentes au village, y compris bundistes, folkistes, socialistes et révisionnistes.

En septembre 1939, les Einsatzgruppen et la Wehrmacht envahissent Wodzislaw. Ils enferment Juifs et Polonais du village dans l'église. Un Allemand haut placé intervient à temps pour empêcher l'incendie. La terreur règne.

En novembre 1942, les derniers Juifs de Wodzislaw sont déportés vers Treblinka. Après leur départ, le sol du camp est jonché de perruques, de jouets d'enfants, de morceaux de crâne et de bébés tués.

En janvier 1945, la région est libérée par l'Armée rouge. Des survivants juifs reviennent, mais l'un d'entre eux, Shmuel Braun, est assassiné, et ils quittent définitivement Wodzislaw. La communauté juive décimée, le village se réduit aujourd'hui à environ 1 200 âmes.

Les courants religieux

Au début du 18e siècle, le mouvement hassidique prend son essor, Moshe de Wodzislaw comme l'un des disciples de Baal Shem Tov, qui prône le pèlerinage de Jérusalem. Le Rabbin Zvi Hirsh de Wodzislaw et son fils continueront d'animer le mouvement hassidique.

Sous l'influence de la Haskalah, des écoles rationalistes sont fondées, leurs élèves partent étudier la médecine à Francfort et reviennent pratiquer à Cracovie et à Wodzislaw. C'est ainsi que la culture et l'héritage des Lumières se développent dans cette petite ville polonaise. Notons aussi une importante conversion des Juifs au christianisme sous l'impulsion du Frankisme, qui prônait l'assimilation à la société polonaise.

Azriel Nathan Frenk

Réputé pour sa traduction du Zohar, Azriel Natan Frenk naquit à Wodzislaw, en 1863. D'éducation hassidique, il fréquenta néanmoins les milieux intellectuels laïcs et révolutionnaires de Varsovie où il s'installa en 1886. Tour à tour communiste, bundiste, sioniste, il fut distingué par le grand maître yiddish Ytshak Leib Peretz qui publia dans Mordke Spektor ses récits romanesques et historiques. Frenk écrivit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur l'histoire des Juifs polonais et traduisit les œuvres d'auteurs polonais contemporains, en hébreu et en yiddish, comme Eliza Orzeszkowa, le prix Nobel Henryk Sienkiewicz et Boleslaw Prus.

3 700 Juifs de Wodzislaw et des villages voisins, parqués dans le ghetto, furent exterminés par les nazis à Treblinka, dont la famille de Chil Rajchman, auteur de Je suis le dernier juif, Les Arènes, 2009.

Population de Wodzislaw

  • En 1999 :
    6 423 habitants
    1 859 catholiques
    4 557 Juifs
    7 orthodoxes russes

  • En 1939 :
    6 500 habitants
    2 500 Polonais
    4 000 Juifs

Bibliographie

  • Michal Kazimierz Nowak, Żydzi wodzislawscy w czasach i Rzeczypospolitej, Epizod kalwiński i początek osadnictwa żydowskiego w Wodzislawiu, Roczniki Muzeum Narodowego w Kielcach.

  • Michal Kazimierz Nowak, Trudne początki Polski niepodległej w okolicach Wodzislawia dans Przyjaciel Wodzisławia, 2009.

  • Krzysztof Urbanski, Almanach Gmina Żydowskich województwie kieleckiego w latach 1918-1939, Kielce, 2007.

  • Le livre du souvenir de Wodzislaw, témoignages (Tel Aviv, 1978).

  • ww.unlivredusouvenir.fr/shtetl.html

  • www.sztetl.org

  • www.yivo.org

  • Le Conseil communal de Wodzislaw, en 1928, avec le docteur Léopold Breszel (premier rang avec des lunettes).

  • www.jewishmuseum.org.pl

  • www.yad

Memorandum du conseil national Juif de Jedrzejow

Remis au Maréchal Joseph Pilsudski le 30/11/1918 par Loshé Tennenbaum et Yaakov Kinamon sur la situation des Juifs dans le district

Le Maréchal Pilsudski, accueilli par la communauté juive, lui remet le pain et le sel en signe de bienvenue. © photo M. Fucks - août 1920

Document exclusif
Ce mémorandum a été publié dans le livre du souvenir de Wodzislaw, un recueil de 90 témoignages par des personnes originaires de ce sztetl. Il n'a jamais été publié. La présente version est traduite de la version en hébreu, elle-même traduction du texte polonais remis au Maréchal Pilsudski.

(...)
Les citoyens Juifs de la région de Jedrzejow vivent une période très difficile à cause de la propagande et des agissements d'une bande dirigée par Kalinka, dit Kozun, qui prétend faire partie d'un parti de gauche dont le but est d'enrichir la caisse du trésor militaire du pays. Grâce à leur propagande, ils deviennent populaires auprès des citoyens des villes et des paysans. Leurs réunions, auxquelles assistent des milliers de personnes, sont organisées dans des agglomérations à forte densité juive.
Après des provocations verbales, des appels au meurtre, au hold-up, ils célèbrent le nom du Maréchal Pilsudski. La bande de Kalinka a attaqué les Juifs de Dzialoszyce.
Informés, les Juifs de Wodzislaw s'attendaient à quelque chose.
Le 18 novembre 1918, à 17h30, 6 personnes, dont 2 en possession d'armes, de la bande de Kalinka, avec l'aide des paysans polonais des villages voisins, attaquent les Juifs de Wodzislaw chez eux et dans leurs magasins.
Kalinka a d'abord tenu un court discours qui a provoqué l'enthousiasme des citoyens, puis il a terminé par un hommage au Maréchal Pilsudski.
Ils ont attaqué les Juifs dans la rue, ont volé leur argent, leurs montres et tout ce qu'il y avait dans leurs poches. Ils ont réclamé entre 200 et 25 000 zlotys en déclarant que c'était pour le trésor de l'armée. Ils ont pillé tous les magasins.
Fuksenchendler, qui avait déjà été pillé quelques heures plus tôt, est pillé une seconde fois. Son fils David, 21 ans, est assassiné, sa femme et sa fille sont grièvement blessées. Cette violente agression a duré jusqu'à 4h30 du matin.
Deux jours plus tard, la « milice » de Jedrzejow est arrivée. Les Juifs comptaient sur son aide pour récupérer au moins une partie de ce qu'on leur avait volé. La « milice » a fait des « recherches » mais avec négligence. Elle est entrée dans les maisons polonaises, demandant : « Avez-vous des biens qui appartiennent aux Juifs ? » La réponse était évidemment négative. Et s'ils trouvaient quelque chose qui appartenait aux Juifs, ils le leur restituait sans dresser de procès-verbal. Cette procédure a rendu les agresseurs furieux.
Lors des funérailles de Fuksenchendler, où tous les Juifs de Wodzislaw étaient présents, ils les ont accusés de vouloir « tuer les chrétiens ». Les Juifs ont compris leur but, ils ont envoyé une délégation chez le commandant de la région pour l'alerter du danger de la situation.
Des milliers de personnes ont envahi le village. À 4 heures de l'après-midi, on a entendu hurler : « À bas les Juifs ! » Les Juifs étaient désespérés, ils voulaient protéger leur vie, mais ils n'avaient que des haches, des pelles et des bâtons. Ils n'avaient pas d'armes. Ils ont entendu crier : « Les Juifs attaquent les positions de l'armée. »
Les agresseurs ont demandé à la milice d'arrêter les Juifs. Les policiers ont arrêté 41 Juifs. Sur le chemin de la prison, ils les ont battus avant de les relâcher vers minuit, sauf Frenkel, Migoz, Sendrowicz, Pinhas, Ozirowsky et Lipmanowicz, grièvement blessés, qui ont été relâchés deux jours plus tard.
(...)
Quarante-huit heures après ces faits, une commission d'enquête de Jedrzejow s'est rendue à Wodzislaw, et un de ses membres s'est adressé aux citoyens, depuis le balcon d'une maison : « Il est prouvé que les Juifs sont innocents. Les agressions contre les Juifs détruisent la base de notre pays. Il faut y mettre fin. » Les Polonais étaient mécontents et ont crié : « Mort à ce salaud vendu aux Juifs ! »
Quelques personnes de Wodzislaw comprenaient que les Juifs subissaient une injustice.
Un professeur à Pitkowicz a démissionné car « il ne voulait pas enseigner aux enfants des meurtriers ».
Un prêtre catholique, avec le soutien de l'évêque de Kielce, a déclaré un deuil de 4 semaines : « Ni orgue, ni cloches de l'église, ni musique. »
Un juge a osé dire la vérité et a aussitôt reçu un ultimatum lui sommant de quitter Wodzislaw.
Le risque d'un pogrom persiste dans d'autres villes du district. Et, chaque jour, les Juifs de Jedrzejow entendent de lourdes accusations à leur sujet. Ainsi, un incendie a pris dans des maisons en bois près de Wodzislaw, et on a accusé les Juifs de vouloir abattre les chrétiens et liquider la milice urbaine.

En conclusion, le Conseil National Juif de Jedrzejow demande : - La constitution d'une commission rogatoire pour enquêter sur les événements - La formation d'une milice armée comprenant des Juifs, car il s'agit d'une question de vie ou de mort. - De parler aux Polonais pour arrêter ces attaques. - D'interdire à Kalinka d'utiliser une couverture gauchiste : il s'agit d'un antisémitisme déguisé sous des raisons sociales.

Ingénieur
M. TENNENBAUM, K. INGBER
Varsovie, 30/11/1918

Avec mes remerciements
Lucyna Gutman-Grauer, Isser Bugajski et Hilek Gostynski pour la traduction
Michel Nowak et Stanislaw Sliwa pour la documentation
Jacky Zajtman pour la mise en page

Justes de Pologne

Plus de 6 000 Justes polonais furent reconnus par Yad Vashem, dont Irena Sendler (photo) qui sauva plus de 2 500 Juifs, Anna Borkowska, une nonne polonaise d'un couvent dominicain des environs de Vilna en Lituanie, aida Aba Kovner et d'autres résistants à se cacher dans son couvent, leur fournissant même des armes clandestinement dans le ghetto.
Wladyslaw Kowalski, colonel à la retraite de l'armée polonaise, représentant à Varsovie de la firme hollandaise Philips, profita de sa liberté de mouvement pour aider une cinquantaine de Juifs de la région de Varsovie. Avec des amis, il les plaça en lieu sûr et demeura avec eux dans un bunker clandestin jusqu'à l'arrivée des Russes en janvier 1945.
Jan Zabinski, un zoologue renommé qui dirigeait l'administration des parcs de Varsovie sous l'occupation allemande, cacha, avec l'aide de son épouse, des Juifs dans des cages vides. Le grand Jan Karski tenta de convaincre Roosevelt de la nécessité d'intervenir contre Hitler.
Wladyslaw Bartoszewski, résistant, opposant au communisme, ministre et sénateur polonais.
Tadeusz Pankiewicz refusa de quitter le ghetto de Cracovie où sa pharmacie servait de boîte aux lettres entre les Juifs séquestrés et le monde extérieur jusqu'à leur déportation pour Treblinka.

Michal Kazimierz Nowak

Quadragénaire, Michal K. Nowak est spécialisé dans l'histoire de Wodzislaw. Écolier, il est interpellé par le drame de Leon Kruczkowski : « Niemcy » qui met en scène l'histoire douloureuse d'un enfant juif. Dans sa famille, on évoquait les assassinats des Juifs par les paysans polonais. Et puis, on parlait du héros, l'oncle Franciszek Kozlowski, aviateur courageux - il s'était engagé dans la RAF au début de la guerre et est mort en 1943 dans des combats aériens aux côtés des Français et des Anglais contre l'ennemi germanique. « Pour les Polonais et pour les Juifs »
Lors de ses études d'histoire, il participa à de nombreux séminaires thématiques sur Cracovie et d'autres lieux en relation avec la mémoire juive. Auschwitz fut au centre de ses réflexions. Les travaux de ses professeurs, Gierowski et Bienskowski, sur le caractère multiculturel de l'État polonais aux 17è et 18è siècles, influencent ses orientations.
Pris d'intérêt pour les Juifs à travers la littérature, il publie ses recherches dans « Przyjaciel Wodzislawia ». Écrivain prolixe, il a publié de nombreux articles qui ont documenté le présent reportage sur Wodzislaw. Michal K. Nowak croit beaucoup au dialogue judéo-polonais et œuvre aussi pour que soient reconnus les bienfaits des Polonais envers les Juifs, beaucoup en cachèrent au péril de leur vie.

Auschwitz, Od chaosu do nowej kosmogoni, Wiez, 2006
Miedzy Oswiecimiem a Harmezami
Żydzi wodzislawscy w czasach I Rzeczypospolitej, Wiez 2007
(Bibliographie complète sur demande à la rédaction)

Voici le texte que vous m'avez fourni, bien formaté :

La synagogue Calviniste

Splendeur et déchéance

Construite sur le modèle d'un temple calviniste au début du 16ème siècle et rénovée au début du 17ème, avec un portail de style Renaissance, la synagoge vel an 'zbôr klawinski est parfois présentée comme un temple protestant transformé ensuite en synagogue. D'autant plus qu'elle est construite en pierres alors que la plupart des autres synagogues du pays sont en bois.

Mais l'historien Michal K. Nowak est formel : « Si son architecture s'inspire, il est vrai, du modèle calviniste, ce qui est assez rare pour une synagogue, en tous cas en Pologne, dès l'origine il s'est agi d'une synagogue, elle n'a jamais été un temple calviniste. » Une vérité qui n'est pas assez connue, même chez les historiens juifs. Beaucoup se basent sur la version erronée de Tadeusz Przypkowki. Fasciné par les idées sociales des calvinistes, celui-ci « calvinise » tout. En 1957, chargé d'établir le catalogue des monuments de la région de Małopolska (région de Cracovie), il reprend la synagogue de Wodzislaw dans la liste des bâtiments calvinistes. Mais nous avons pu établir qu'il se trompait, car en 1557, des synodes calvinistes se tenaient à Wodzislaw dans leur temple situé à un autre endroit que la synagogue. Des fouilles archéologiques effectuées en 1950 ont confirmé mon hypothèse », précise M. K. Nowak.

Ce bâtiment, aujourd'hui classé par les monuments historiques, est signalé dans tous les livres d'architecture traitant de la région. La synagogue fait partie du patrimoine historique de la ville et les édifices publics de Wodzislaw en affichent généralement une vue. On la voit à la mairie, à la bibliothèque et chez de nombreux habitants. Souvent peinte du temps de sa splendeur. Avant qu'elle ne soit transformée en réserve à grains par les nazis. Et comme plus aucun Juif n'est revenu habiter à Wodzislaw après la guerre, elle s'est progressivement dégradée. Dans les années 80, une tempête emporta son toit, et elle est aujourd'hui en ruines.

La Bibliothèque

Romantiquement nichée dans un cadre digne d'un poème de Mickiewicz, la bibliothèque municipale se situe au bout d'une passerelle qui enjambe une petite rivière bordée d'arbrisseaux et de hautes tiges fleuries. À l'entrée, un tableau de la synagogue à la belle époque. La bibliothèque est petite mais bien fournie, on y trouve des écrits de l'ère soviétique, des livres d'images pour enfants, de la poésie ainsi que des ouvrages sur la Shoah. Et, signe des temps, des ordinateurs devant lesquels s'activent de jeunes adolescents. Et bien entendu, des livres avec une illustration de la synagogue an synagoge vel an 'zbor klawinski.

Les Annales de Wodzislaw publient souvent des articles à thème juif.

Josef Syska Maire et Renata Koziara Adjointe au Maire

Renata Koziara, adjointe au maire : « À la fin des années 70, la commune a tenté de rénover la synagogue pour en faire un centre culturel, mais la communauté juive de Katowice dont dépend Wodzislaw n'a pas donné son accord. Les fondations ont néanmoins été renforcées. Au cours des années 80, après l'effondrement du toit, quelques travaux de stabilisation des murs du bâtiment ont pu être exécutés grâce à l'appui du Ministre de la Culture, le professeur Aleksander Krawczuk. En 2006, l'État a autorisé la réhabilitation de la synagogue et s'est engagé à payer les travaux pour autant qu'ils soient réalisés dans un certain délai. Mais l'argent est arrivé trop tard et nous l'avons renvoyé. La communauté juive de Varsovie, que nous avions sollicitée, n'a pas réagi. » La fédération des communautés juives de Pologne, qui siège à Varsovie, détient le droit légal de propriété sur les bâtiments ayant appartenu aux communautés juives. Mais elle a d'autres préoccupations, notamment organiser la scolarité des élèves juifs, aider les nécessiteux et assurer l'accueil des 50.000 Polonais qui se sont découverts des racines juives et qui veulent progresser dans la connaissance du judaïsme.

« Actuellement, poursuit le bourgmestre Josef Syska, en présence du Conseil communal, nous devons terminer les travaux de réaménagement du Rynek. Nous sommes une petite municipalité et l'État supporte les ¾ de notre budget. Nous sommes conscients de la valeur historique de la synagogue et nous sommes bien sûr désireux de la rénover. Le ministère de la Culture s'est dit prêt à supporter 90% du budget mais il faudrait que la communauté juive manifeste aussi son intérêt auprès du ministre pour qu'il s'investisse dans ce projet. »

Le Comité des Juifs originaires de Wodzislaw (CJW), nouvellement créé, est désolé que rien dans le village ne rappelle la présence de sa communauté juive, autrefois si active. 60% de la population a disparu et hormis les ruines de la synagogue qui risque l'effondrement avant un an si on n'intervient pas, et le cimetière dévasté, rien ne le signale. En ce qui concerne le cimetière, l'historien Michal K. Nowak précise : « Une cinquantaine de matsevot (pierres tombales) se trouvent chez des habitants et on peut les ramener au cimetière. Josef Syska se dit prêt à organiser leur transport. Il voudrait aussi redéfinir les limites initiales du cimetière. » Il ajoute : « Nous sommes bien sûr disposés à créer, au Rynek, par exemple, un mémorial, à la mémoire des Juifs de Wodzislaw qui ont été assassinés. » Le CJW est prêt, quant à lui, à supporter les frais d'une plaque à la mémoire des citoyens de Wodzislaw qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. Une nouvelle qui réjouit le maire : « L'inauguration pourrait avoir lieu en même temps que le Festival de Culture Juive de Cracovie, en juillet 2012. »

Portrait

Docteur Sliwa

Le musée de Wodzislaw - Galeria Pod Brzoza

Le Docteur Stanislaw Sliwa (à gauche), dans sa galerie avec Isser Bugajski originaire de Wodzislaw. Son père, ses oncles et ses cousines ont été cachés par la famille Janusz Koczaj.

Sanislaw Sliwa est dentiste de profession, mais sa passion, c'est la mémoire de Wodzislaw. Sa mémoire polonaise certes, mais aussi sa mémoire juive. Pour la synagogue qu'il a photographiée, filmée et peinte dans tous ses états, flamboyante, mélancolique, dévastée. Mais aussi et surtout à cause d'un drame personnel qui a marqué son enfance et l'a fait passer dans le monde des adultes en quelques secondes. Le temps qu'il a fallu pour que s'effondre Chajusia, une petite fille juive qu'il aimait bien, reconnaissable à son foulard rouge, « Czernowa kokarda ». C'est d'ailleurs le titre d'une nouvelle qu'il a écrite.

Lorsque les nazis sont entrés à Wodzislaw, les Juifs ont immédiatement été persécutés. Des chasses à l'homme étaient organisées qui se terminaient par des tueries. Les blessés agonisaient longtemps sur la voie publique. C'était horrible. Un jour, ces criminels ont rassemblé un groupe d'hommes, femmes, vieillards, enfants, une trentaine environ. Ils les collèrent contre un mur du Rynek et tirèrent dans le tas jusqu'à ce que plus personne ne bouge. Le jeune Stanislaw Sliwa a vu le foulard rouge voler en l'air. Tétanisé, il a suspendu le temps pour retenir le foulard rouge entre terre et ciel le plus longtemps possible, pour ne pas le voir atterrir dans la mare de sang qui entourait le joli visage de Chajusia.

Depuis des années, le Docteur Sliwa passe son temps libre à rassembler des informations sur Wodzislaw. Il a pu interroger de nombreux témoins des étapes préliminaires de la Shoah. Ceux-ci lui ont raconté comment les nazis avaient sali le beau nom de Wodzislaw en liquidant un de ses plus beaux fleurons, sa communauté juive, l'âme du sztetl. Une passion dans laquelle son beau-père, Thomas Musielewicz, l'a beaucoup soutenu. Il avait lui-même dressé la liste de tous les élèves juifs dont il fut le professeur de 1929 à 1932. Le Docteur Sliwa a également établi la carte du Rynek, la place du marché au nom du Maréchal Pilsudski. Avec l'aide des anciens, il a réussi à identifier les noms des commerçants du Rynek dont, sur une bonne centaine, seuls trois n'étaient pas Juifs.

« Tous vivaient en bonne intelligence, même les restaurateurs qui se faisaient face. On trouvait des commerces de détail, de gros, des bureaux de prêts. Tout le monde faisait du commerce. Un Juif ne prenait pas son déjeuner tant qu'il n'avait pas gagné au moins un zloty. On trouvait de tout dans ces magasins. Si quelque marchandise venait à manquer, les Juifs ne voulaient pas perdre le client et le faisaient revenir le lendemain en clamant : « C'est comme si vous l'aviez, vous êtes le seigneur ! » Quelle joie pour les enfants d'aller au magasin de Korzec y acheter pour un sou de 5 groschens une boîte de bonbons et récupérer encore la monnaie. La vie à Wodzislaw avant-guerre avait une coloration exotique. La coexistence entre Juifs et Polonais était harmonieuse.

Au restaurant chez Trampczynski, le jour du marché, on faisait un bon gueuleton en sirotant une vodka au miel. Si on avait besoin d'argent, on pouvait aussi aller chez Hamelach, qui prêtait

aussi aux propriétaires terriens. Zilbersac tenait le restaurant concurrent, et à l'ouest du Rynek, il y avait un café qui vendait du halva et des gâteaux au pavot. Les magasins étaient ouverts de l'aube à la nuit toute la semaine. Le shabbat et les jours fériés, c'était ouvert par derrière !

Le Rynek

En 1943
En 2011

Les élèves juifs 1929-1932

Mais par un beau jour d'automne, toute cette vie paisible et pittoresque a été pulvérisée. On entendit des bombes éclater sur le village voisin et la seconde guerre mondiale a débarqué chez nous. Ce fut la fin de la tranquillité des Juifs à Wodzislaw. A peine deux ans plus tard, ils étaient, soit déportés à Treblinka, soit en fuite, généralement vers la Russie, ou alors ils se cachaient chez des habitants de Wodzislaw et environs dans des trous ou des greniers. » Toutes ces informations, notre dentiste-muséologue les a répertoriées dans des cahiers; les photos, il les a collées sur des panneaux exposés dans son musée « Galerii Isabelle et Stanislaw Sliwa - Pod Brzoza », Isabelle était l'épouse bienaimée du Docteur Sliwa, décédée il y a deux ans. A ses heures, il photographie Wodzislaw sous tous ses ciels. Ses photos sont exposées dans une galerie d'art à Cracovie. Mais c'est les Juifs qui l'intéressent le plus. Le Docteur Sliwa porte un flambeau. Il remplit parfaite- ment la mission définie par Witold Dabrowski, chef de file d'un mouvement qui s'attache à reconstruire le passé juif polonais, en ces termes: «Nous essayons de conserver la mémoire, de la transmettre aux autres et de chercher des formes pour que cette mémoire survive. » Le Docteur Sliwa est un passeur donc. Un passeur de mémoires. 

Thomas Musielewicz, professeur puis directeur de l'école, en a établi la liste. Le Docteur Sliwa a noté au regard de presque chacun d'entre eux ce qui leur était advenu.

GRYNBLAT DAVID - HAMAJDA JAKOB ABRAM - IZRALEWICZ CHIL - KALISZ LAJB - MAJEROWICZ SZMUL - MONETA MORDKA - MO- ZGOWSKI ALTER - MYDLIK MOSZEK - NORYCH DAVID - NORYCH CHUNA - NAWARSKI NUTA - NAWARSKI SZLAMA - PILA JOSEK - RA- JCHMAN IZRAEL - ROZENBERG ALTER - ROZE ZALMAN - ROZE MOS- ZEK - ROTCHOLC JAKUB - RUBINSZTAJN DAVID - SZKLARZ SYMCHA - POSLANIEC JOSEK - WAJL NAFTULA - WAJNBERG HERSZEL - WOL- BERG ABRAM - RUBINEK EFRAIM - ZGNITEK ABRAM - ZYLBERSZAC JONATAN - ZYNGIER CHAIM - LAJNWEBER MENDEL HUNE - ALMER UDLA - WOLF ALME - DRZEWO RYWKA - FAJTEK HENDLA MATKA GRANATMAN RUCHLA - GRYNBLAT RUCHLA - GRYNBERG BERLA HERBERT - JACHIMOWICZ PERLA - JAKOBOWICZ BRAJNDLA - KORC CHANA - LEWKOWICZ BAJLA - NUDELMAN ESTERA - PIORVN RYWKA POTESMAN PORJA - RAJS - RAPPAPORT MATLA - REDLIC SURA ITLA ROZE DWOZLA - ROZE MALKA - SPIRO AJDLA - SZTERN GOLDA PER- LA - WANDERSMAN NICHA - WAJNFELD SZAJNDLA - BORENSZTAJN BRAJNDLA - CHARMACZ CHAJA AJDLA - WODZISLAW AJDLA - ALMER MOSZEK - CUKIER SZULIM - CHARMACZ ABRAM - AJRENFELD BAJNYS IZRAL - BRAJBART IZRAEL - FRENKIEL BEREK - FRYDBERG MAJER - FUKSENCHENDLER ICEK ABE - GASTFRAJND SZAJA RUBIN - GDANSKI PINKUS - KRANTZ - ROTOLD MICHAL - MAJER FRYDBERG - WAJSZ- TROF - MAJEROWICZ - PILA FAJBUZ - ALEKS LAJNWEBER

Le Docteur Sliwa a établi la liste de tous les commerçants juifs installés au Rynek en 1939

Les élèves juifs 1929-1932

Mais par un beau jour d'automne, toute cette vie paisible et pittoresque a été pulvérisée. On entendit des bombes éclater sur le village voisin et la Seconde Guerre mondiale a débarqué chez nous. Ce fut la fin de la tranquillité des Juifs à Wodzislaw. À peine deux ans plus tard, ils étaient, soit déportés à Treblinka, soit en fuite, généralement vers la Russie, ou alors ils se cachaient chez des habitants de Wodzislaw et des environs dans des trous ou des greniers.
Toutes ces informations, notre dentiste-muséologue les a répertoriées dans des cahiers; les photos, il les a collées sur des panneaux exposés dans son musée « Galerii Isabelle et Stanislaw Sliwa - Pod Brzoza », Isabelle était l'épouse bien-aimée du Docteur Sliwa, décédée il y a deux ans.
À ses heures, il photographie Wodzislaw sous tous ses ciels. Ses photos sont exposées dans une galerie d'art à Cracovie. Mais ce sont les Juifs qui l'intéressent le plus.
Le Docteur Sliwa porte un flambeau. Il remplit parfaitement la mission définie par Witold Dabrowski, chef de file d'un mouvement qui s'attache à reconstruire le passé juif polonais, en ces termes : « Nous essayons de conserver la mémoire, de la transmettre aux autres et de chercher des formes pour que cette mémoire survive. »
Le Docteur Sliwa est un passeur donc. Un passeur de mémoires.

Thomas Musielewicz, professeur puis directeur de l'école, en a établi la liste. Le Docteur Sliwa a noté, au regard de presque chacun d'entre eux, ce qui leur était advenu.

GRYNBLAT DAVID - HAMAJDA JAKOB ABRAM - IZRALEWICZ CHIL
- KALISZ LAJB - MAJEROWICZ SZMUL - MONETA MORDKA - MOZGOWSKI ALTER
- MYDLIK MOSZEK - NORYCH DAVID - NORYCH CHUNA - NAWARSKI NUTA
- NAWARSKI SZLAMA - PILA JOSEK - RAJCHMAN IZRAEL - ROZENBERG ALTER
- ROZE ZALMAN - ROZE MOSZEK - ROTCHOLC JAKUB - RUBINSZTAJN DAVID
- SZKLARZ SYMCHA - POSLANIEC JOSEK - WAJL NAFTULA - WAJNBERG HERSZEL
- WOLBERG ABRAM - RUBINEK EFRAIM - ZGNITEK ABRAM - ZYLBERSZAC JONATAN
- ZYNGIER CHAIM - LAJNWEBER MENDEL HUNE - ALMER UDLA - WOLF ALME
- DRZEWO RYWKA - FAJTEK HENDLA MATKA
- GRANATMAN RUCHLA - GRYNBLAT RUCHLA - GRYNBERG BERLA HERBERT
- JACHIMOWICZ PERLA - JAKOBOWICZ BRAJNDLA - KORC CHANA - LEWKOWICZ BAJLA
- NUDELMAN ESTERA - PIORVN RYWKA
- POTESMAN PORJA - RAJS - RAPPAPORT MATLA - REDLIC SURA ITLA
- ROZE DWOZLA - ROZE MALKA - SPIRO AJDLA - SZTERN GOLDA PERLA
- WANDERSMAN NICHA - WAJNFELD SZAJNDLA - BORENSZTAJN BRAJNDLA
- CHARMACZ CHAJA AJDLA - WODZISLAW AJDLA - ALMER MOSZEK - CUKIER SZULIM
- CHARMACZ ABRAM - AJRENFELD BAJNYS IZRAL - BRAJBART IZRAEL
- FRENKIEL BEREK - FRYDBERG MAJER - FUKSENCHENDLER ICEK ABE
- GASTFRAJND SZAJA RUBIN - GDANSKI PINKUS - KRANTZ - ROTOLD MICHAL
- MAJER FRYDBERG - WAJSZ-TROF - MAJEROWICZ - PILA FAJBUZ
- ALEKS LAJNWEBER

Le Docteur Sliwa a établi la liste de tous les commerçants juifs installés au Rynek en 1939.

Wodzislaw se souvient...

Witold Madetko

Aussi loin que je me souvienne, l'entente entre les Juifs et les non-Juifs a toujours été bonne dans notre village. Je me rappelle que les dirigeants de la communauté juive recherchaient les enfants doués pour leur donner des cours particuliers.
À l'école polonaise, on comptait environ 5 à 8 élèves Juifs par classe. Ils s'entendaient bien avec les étudiants polonais. Les garçons juifs avaient des aventures avec des filles polonaises. Les filles juives avaient une éducation très stricte mais parfois, en cachette, elles s'échappaient. Comme elles étaient belles et séduisantes ! En politique aussi, les combats étaient parfois communs. Ainsi, les socialistes juifs et polonais s'opposaient aux groupes nationalistes.
Je n'habitais pas loin du cimetière juif et j'étais impressionné par les enterrements, le mort était placé dans une position quasi-assise pour qu'il soit le premier à se lever lorsque sonnerait la fin du monde, et on lui mettait des pièces sur les yeux. Les pleureuses faisaient partie du rite funéraire et leurs lamentations étaient bouleversantes. Parfois, j'allais en cachette à la synagogue. Lors des mariages juifs et des fêtes dansantes, quelle ambiance !
À l'époque, les pères choisissaient le mari de leurs filles, non sans provoquer quelques drames parfois.
Les nazis ont interdit aux Juifs comme aux non-Juifs d'aller à l'école, seules les écoles professionnelles fonctionnaient. Ils étaient aidés par les Ukrainiens dans la chasse aux Juifs. J'ai vu un Allemand tirer sur un bébé dans son landau. J'ai vu s'immoler la famille du tailleur Kwasniewski. Il a refusé de sortir pour se rendre au Wierdonek comme l'ordonnaient les nazis. Le père s'est aspergé de pétrole ainsi que ses deux fils et a mis le feu. L'incendie a duré longtemps. Beaucoup de Juifs se sont sauvés dans le bois.
Les nazis ont arrêté des jeunes Juifs, les obligeant à dénoncer leurs parents. Ils ont tué notre ami Moniek. C'était un jeune homme de 16 ans environ, blond aux yeux bleus, il parlait bien le polonais. Un voisin, fermier, l'a caché chez lui et on lui a appris les prières catholiques. Hélas, il a été dénoncé aux nazis et, sur le point d'être arrêté, in extremis, il a fui à travers bois. Mais la milice bleue l'a rattrapé et a tiré, le blessant grièvement. Puis, ils ont jeté son corps agonisant au cimetière devenu un lieu d'exécution des Juifs. À la nuit tombée, ses amis sont allés le veiller, ils lui tenaient les mains pour le retenir à la vie. Finalement, ils ont appelé un policier ami qui a accepté de tirer pour abréger ses souffrances. Le souvenir de Moniek est toujours gravé dans mon cœur.
Je me souviens aussi d'une très belle jeune fille juive qui a été emmenée de force par deux policiers au cimetière. Ils ont tiré dans sa nuque et les cheveux de la jeune fille se sont hérissés lui dressant sur le sommet de la tête une couronne rouge de sang.
Personne n'était content de ce qu'on vous a fait. Et on était très conscients qu'après les Juifs viendrait notre tour. Nous ne sommes pas une race pure. Et le plan nazi prévoyait aussi l'anéantissement des Polonais.
Je regrette le temps des belles années, celles d'avant-guerre. Je me souviens de la gaieté des jeunes élèves de l'école talmudique qui, accrochés à leurs luges, glissaient à vive allure sur le chemin verglacé qui séparait la maison d'études, la yeshiva, de la maison de prières, la synagogue. J'ai la nostalgie de cette belle musique juive que j'aimais tellement autrefois. Je regarde le festival de culture juive de Cracovie à la télévision, ça me fait du bien.

Stanislaw Pryczynski

Je travaillais chez Chemie Lejzerowicz. Je mangeais souvent chez eux, ils ne mangeaient pas casher mais ne consommaient pas de porc. Je me souviens de leurs amis, toujours si gentils avec moi : Rajchman, Frydberg, Cohen, Fuksenchendler, Zalcman. Et aussi les Brajbart, des gens très bien. Je me rappelle aussi de Yankel Eisenberg qui faisait crédit, des médecins Koenigsberg et Sobkowsky, du boulanger Itsik Messerman qui avait servi dans l'armée russe. Je vivais très bien avec les Juifs. Shlomé Piwa, la famille Senderowicz, les Fish partis avant la guerre. Tous des braves gens. À l'école aussi, on était ensemble. Le samedi, les Juifs ne venaient pas. C'était permis. Puis, les Allemands sont arrivés et toute notre société a été pulvérisée. La mère de Chemie était malade, elle a été assassinée dans son lit par les nazis. Le fils de Chemie, Shlomè, 12 ans, s'est habillé à la polonaise, a réussi à quitter Wodzislaw mais le vacher l'a reconnu et l'a dénoncé aux Allemands qui l'ont tué. Le père de Chemie a fui à Sendjzerow en passant par la rivière mais a été tué par les nazis. Chemie, le menuisier, a fui Wodzislaw vers les Carpates mais les pompiers d'un village voisin l'ont reconnu et il a été exécuté. La femme de Chemie a été cachée à la campagne avec ses deux filles Tauba et Wylyla. Elles ont été sauvées. Le second fils de Chemie, Haïm Leib, a été déporté au camp de Scargis mais a survécu, il est passé à Wodzislaw après la guerre pour savoir ce qu'il était advenu des siens.

Stanislawa Zelichowska

La famille de Stanislawa Zelichowska est d'origine noble apparentée aux Lanckoronski. Avant-guerre, mon père avait hérité de ses grands-parents une vaste maison, voisine de la nôtre, qu'il louait à deux familles juives, les Korc, un couple sans enfants, et la famille Bojgen. Peu avant que la guerre n'éclate, les Rubinek ont également emménagé dans la maison avec leur fils Alek que nous appelions Alouch, un très beau garçon. Mon père travaillait avec les Juifs, il transportait leurs produits et il savait communiquer en yiddish avec eux. Ma cousine était amie avec les filles du rabbin Rappoport. Je me souviens de Yankel, le fils d'un pauvre cordonnier qui allait aux champs faire paître la vache. Il avait accepté, à notre demande, de voler pour nous, le pain que ma mère cachait depuis que les boulangeries étaient fermées à cause de la guerre et que la nourriture était rationnée. Mon père a été pris comme otage par les Allemands puis relâché. Il est mort peu après d'une crise cardiaque. Mon demi-frère Anthony a été envoyé dans un camp de travaux forcés, notre mère est restée seule avec ses trois fillettes. On a souffert, mes sœurs et moi, d'être séparées d'Alec Rubinek qui avait dû, pensions-nous, aller vivre dans un quartier réservé aux Juifs, sur ordre de la police allemande, un ghetto ouvert mais d'où les Juifs ne pouvaient pas sortir ! J'ai beaucoup pleuré à l'idée qu'on ne le verrait plus. J'ai vu les Allemands emmener des Juifs au Kirkout (cimetière) pour les tuer. Et je garde l'image de l'assassinat du boulanger Chaje, près du pont, parce qu'il était trop gros pour suivre la file des malheureux qu'on emmenait à Treblinka. Brutalement, on nous a interdit de vivre avec les Juifs et de jouer avec leurs enfants qui étaient nos amis. On ne comprenait pas pourquoi. On était si heureux avec eux. Etsi mon fils (ndlr. L'historien Michal K. Nowak) s'intéresse tant à la mémoire juive de Wodzislaw, c'est parce qu'il a reçu une bonne éducation.»

Témoignage de Woijche 5

En 1942, j'habitais au-dessus de la pharmacie, chez les Szymanskich.
J'avais 7 ans, on avait une vue panoramique sur la synagogue, je jouais avec les enfants juifs et j'étais fasciné par une mendiante juive, Ciejwa, avec laquelle je parlais beaucoup.
Mes propriétaires étaient philosophes, une exception pour l'époque. Je me souviens qu'ils étaient scandalisés par l'accusation selon laquelle les Juifs buvaient le sang des chrétiens.
Il restait 4 jours avant de rejoindre le ghetto sur ordre des nazis. Les Juifs étaient très angoissés. Ils confiaient leurs affaires aux Polonais pour les préserver. J'ai revu la mendiante : «Nous allons en Palestine, c'est le paradis là-bas. Tu ouvres la fenêtre et tu récoltes des oranges.» J'ai compris qu'elle était devenue folle. Le dimanche suivant, les rues étaient jonchées de perruques de femmes, de bébés tués, de morceaux de crâne. Les Polonais pleuraient, essayaient de faire taire un voyou qui hurlait aux Juifs: «C'est votre dernier soupir !» Quelques jours après la déportation, les biens juifs furent mis aux enchères. Certains se sont installés dans les maisons juives, mais la plupart d'entre elles sont restées vides et sont tombées en ruine. Les Juifs, cachés dans la forêt, venaient chez nous la nuit. Beaucoup ont fui vers la Russie. Peu sont revenus. Des Polonais 6 ont été fusillés parce qu'ils les aidaient.

Jozef et Antonina-Gabriella Gondorowicz

En novembre 1942, immédiatement après la liquidation du ghetto de Wodzislaw, dans le district de Kielce, Jozef et Antonina Gondorowicz commencent à aider les réfugiés échappés du train qui les emmène à Treblinka.
À l'initiative de Gondorowicz, neuf réfugiés juifs : Chana Biedak, Rivka Braun et ses enfants David et Shmuel, Froim et Mala Dziewiencki, leur fille Pola Rubinek, et ses adolescents Shmuel et Alek, furent transférés au proche village de Drochlin, où Gondorowicz paya un fermier pour cacher les fugitifs dans un bunker aménagé spécialement pour eux dans un coin de la ferme. Pendant toute l'occupation, les Gondorowicz leur apportèrent à manger et leur remontèrent le moral sans rien attendre en échange. En les aidant, les Gondorowicz furent uniquement guidés par des soucis humanitaires, au mépris de leur sécurité personnelle et économique.
En décembre 1944, une négligence de la part d'un des enfants cachés conduisit à la découverte de la cachette. David Braun, Shmuel et Alec Rubinek furent tués sur le coup tandis que les autres réfugiés purent s'échapper et se cacher dans un nouvel abri grâce à Gondorowicz, près du village d'Olszowka. Craignant d'être arrêtée, toute la famille Gondorowicz se cacha aussi.
En janvier 1945, après que la région fut libérée par l'Armée rouge, les survivants retournèrent à Wodzislaw. Mais Shmuel Braun fut assassiné par un voyou polonais. Ils décidèrent de partir, craignant pour leur sécurité dans le climat antisémite qui prévalait alors.
Le 1er septembre 1992, Yad Vashem a reconnu Antonina-Gabriela et Joseph Gondorowicz comme Justes parmi les nations.
Le dossier porte le n°5415 à Yad Vashem

Mémoires de Marie Devinki originaire de Wodizslaw source

  1. Yitshak Leib PERETZ, Préface de Jean MALAURIE, Traduit par N. et M. WEINSTOCK, Les oubliés du Shtetl, Yiddishland, Plon, Terre Humaine, 2007. 

  2. Jean-Yves Potel, La fin de l'innocence. La Pologne face à son passé juif, autrement Frontières, 2009.  

  3. Cf. Programme du Mémorial de la Shoah en partenariat avec l'Institut Polonais de Paris. (www.memorialdelashoah.org

  4. Yosef Hayim Yerushalmi, Serviteurs des rois et non serviteurs des serviteurs, Allia, 2011 

  5. « Anarynkubylokiedysgwarno » et Tygodnik Powszechny  

  6. Ndlr : notamment Krzelowski, Mendrala et Franciszka Rudecka.  

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