ANTISÉMITISME EN BELGIQUE (suite) Qu'est-ce qui le différencie de celui qui sévit en France ?
Si la conférence de Durban a propulsé dans plusieurs parties du monde un antisémitisme/antisionisme, d'autres causes, en Belgique, peuvent être identifiées. Ainsi, dans le Royaume, le catalyseur de l'antisémitisme fut la loi de compétence universelle visant à accuser Sharon des massacres de Sabra et Chatila. L'énergie utilisée par certains politiciens, professeurs ou juristes pour faire condamner le Premier ministre en exercice de l'État d'Israël, a fait potentiellement de chaque citoyen belge le justicier des Israéliens. Ainsi l'affaire Sharon empoisonna durablement les relations non seulement de la Belgique avec Israël mais aussi de Belges entre eux, ceux-ci ignorant bien souvent le nom d'Hobeika et donc sa responsabilité, comme l'a montré l'interview de J.P.Philippot, administrateur général de la télévision belge francophone.
Le rôle des médias belges n'est pas négligeable non plus dans la montée de l'antisémitisme. Leur militantisme anti-israélien frisant parfois l'absurde : par exemple, lors de l'interview de la mère de l'un des terroristes réfugiés dans la basilique de la nativité à Bethléem évoquant son garçon tellement bon et doux. L'importation du conflit du Proche-Orient et le spectacle télévisé des chebabs en révolte contre les militaires israéliens ont galvanisé les esprits des jeunes immigrés, auteurs les plus fréquents des agressions antisémites. Si on sait que le conflit du Proche-Orient est couvert par la presse huit à neuf fois plus que les autres sujets de politique internationale, on a une idée du climat dans lequel vivent de nombreux Juifs, régulièrement identifiés aux Israéliens.
L'islamisme, de plus en plus implanté dans les communautés musulmanes, a également contribué à renforcer les antagonismes entre communautés. Un site Internet islamiste « assabyle.com », qui clame sa haine des juifs et d'Israël, est l'objet d'une plainte auprès de la justice. Cependant, le juge d'instruction en charge de celle-ci ne semble pas convaincu de son caractère illicite. Le site est lié à un « centre islamique de Belgique » par lequel sont passés les tueurs de Massoud, révélés par M.R.Armesto.
Les altermondialistes, solidaires des Palestiniens souffrant de l'occupation israélienne, ne sont pas en reste. Ils ont prôné le boycott des produits israéliens par le biais d'une campagne odieuse dans les journaux et dans les supermarchés. Des méthodes qui ont encouragé le rejet du «pays des juifs».
Signalons aussi que la Belgique n'a jamais fait son travail de mémoire. Ainsi, le chef du gouvernement belge n'a pas, comme le président Chirac, demandé pardon pour les 25.000 juifs déportés avec l'assistance des autorités locales. Ce n'est que tout récemment, soit près de 60 ans après les faits, qu'une commission parlementaire composée d'historiens a été désignée pour faire la lumière sur les responsabilités qui ont conduit à cet assassinat collectif.
Le populisme de Louis Michel, ministre des Affaires étrangères, séduit certaines catégories d'électeurs sensibles à la condamnation de la politique israélienne – la seule à faire l'objet de tant de courroux. De plus, l'opportunisme des partis politiques, lors de leur récente campagne électorale, n'a pas simplifié les choses. Grâce au parti socialiste, Pierre Galand, chantre de la cause palestinienne qui venait d'être expulsé d'Israël, a été élu sénateur. Adoubé comme «Juste» par le président du PS, P. Galand est aussi président de l'association belgo-palestinienne. Celle-ci édite une revue « Palestine » dans laquelle on peut notamment lire : «Les Israéliens tuent pour tuer» ; il est aussi président des amis belges du monde diplomatique et de quelques ONG souvent liées aux Palestiniens. Un de ses premiers actes, dès son élection ( avec 22.000 voix de préférence pour la Belgique francophone), fut de recevoir une importante délégation des maires palestiniens sous les ors du Sénat. Tiers-mondiste notoire, son acharnement contre Israël le rend d'autant plus suspect qu'on ne l'entend jamais condamner les dictatures reconnues. Il résume parfaitement ce que l'on reproche aux altermondialistes : condamnation politique sélective, antisionisme ambigu et tolérance inconditionnelle pour ses amis arabes et palestiniens, fussent-ils dictateurs.
L'antisémitisme traditionnel d'origine chrétienne conditionne très fort la manière de penser de nombreux Belges. Si l'on sait qu'il n'y a pas dans le Royaume une culture du débat, on réalise combien les préjugés restent irréductibles. Si on y ajoute la compassion pro-palestinienne, on imagine l'ambiance, non seulement des conversations entre amis mais de leurs relations avec les juifs. «Ce sont les juifs qui dirigent le monde…ils sont tous riches», déclarait récemment un médecin à sa patiente juive. Une croyance solidement ancrée, indépendamment du milieu socioprofessionnel.
Les dirigeants de la communauté juive majoritairement laïque et bien intégrée, portent aussi une part de responsabilité. Trop longtemps, ils ont minimisé le phénomène, se contentant de clamer qu'il n'y a pas d'antisémitisme d'État. Ce qui est vrai. Mais a contribué à retarder la prise de conscience du réveil de l'antisémitisme par les autorités.
Enfin, les juifs d'extrême gauche, tout à leur haine de Sharon, n'ont pas eu conscience de l'impact de leurs critiques sur la société civile. D'autant plus que, jusqu'il y a peu, ils étaient aussi bien les interlocuteurs les plus fréquemment entendus dans les médias que les conférenciers chargés d'apporter la contradiction aux orateurs pro-palestiniens.
L'ignorance d'une grande partie de la population, l'amalgame qui est fait entre juifs et Israélien, entre sioniste et pro-Sharon, entre antisioniste et antisémite, brouille les esprits. La volonté de se référer à des sources partisanes pour comprendre les enjeux du conflit ne permet pas un dialogue serein. D'ailleurs, les ouvrages consacrés à l'antisémitisme et à l'antisionisme sont souvent mal reçus. Ainsi, le récent livre que Dan et Joël Kotek - «Au nom de l'Antisionisme. Images des juifs et d'Israël dans la caricature depuis la seconde Intifada» - éd.Complexe - consacrent à la caricature antisioniste et antisémite dans la presse arabe et altermondialiste a été accueilli avec beaucoup de réticence par les libraires, à la fois soupçonneux envers un ouvrage qualifié de «littérature de propagande» et soucieux des réactions de leur clientèle. Celle-ci «aurait mieux accueilli un livre dénonçant la presse israélienne», déclare un libraire de la capitale.
En attendant, extrême-droite attend dans l'ombre de recueillir les dividendes du climat actuel.